Cette aventure se passe à une époque indéterminée (vraisemblablement du temps de Molière,
soit au XVIIe siècle) en Italie, à Venise plus précisément. Nos héros Villalobos y Sangrin
et Armand Raynal de Maupertuis ont ceci de particulier qu'ils sont respectivement loup andalou et renard français. Ces deux compères, étant deux fines lames, rencontrent un père éploré dont les Turcs ont ravi le fils. Ils n'hésitent alors pas à braver le danger pour aller sur la galère turque pour essayer de délivrer le fils de ce pauvre homme. A défaut de prisonnier, ceux-ci vont trouver une carte au trésor qui marquera le début de leurs ennuis. |
Lorsque j'ai ouvert pour la première fois Le Secret du Janissaire, je dois avouer que j'avais un a priori
négatif quant à cette bande dessinée : "Quoi, une BD qui met en scène un renard et un loup au
milieu d'êtres humains normaux ! Et pourquoi pas les fables de La Fontaine, ou alors Mickey et Donald tant qu'on y est !".
Non pas que je n'aime pas ces fameuses fables (ou cette sympathique souris), mais je considère que ce sont des oeuvres
littérraires (ou cinématographiques) avant tout, et que les adapter en BD n'apporte rien à la BD et rien
non plus à la littérature (ou au cinéma). Bref, je ne m'attendais à rien de bien. Pourtant, j'aurais dû m'en douter : à feuilleter les pages, le graphisme semblait excellent, et que dire des couleurs, sinon qu'elles sont splendides (comme toujours chez Delcourt d'ailleurs). "Soit, le graphisme est plaisant, me dis-je, mais ce n'est pas tout ce qui fait une BD. Et le scénario n'a pas l'air formidable". Nouvelle (et grossière) erreur : empruntant aux meilleures comédies de Molière, Alain Ayroles nous livre ici une oeuvre inspirée et drôle, tendre et amusante. Et je me suis pris à rire aux clins d'oeil comiques distillés tout au long de cette aventure, je me suis pris à vibrer aux aventures de ce loup finalement si sympathique, et de ce renard tout compte fait espiègle. Au finish, quand j'ai refermé Le Secret du Janissaire, j'ai eu envie de le rouvrir. Car cette histoire m'avait passioné comme une histoire ne l'avait plus fait depuis longtemps. 27 Mai 1997, 21h00. Le second tome vient de sortir, je me le suis procuré malgrè l'insistance de mon banquier, et je m'apprête, après une relecture attentive du premier tome de la série, à entamer le second acte des aventures de nos deux compères. L'angoisse bien connue du passionné qui lit la suite d'une oeuvre qui l'a marqué : la suite sera-t-elle à la hauteur du premier tome ? Rira-t-on toujours autant, une fois l'effet de surprise passé ? En bref, cette série sera-t-elle bonne ou géniallissime ? 27 Mai 1997, 21h45. Je sais maintenant. Je sais que cette série sera désormais ma référence, ma "BD culte" comme on dit. De plus, les auteurs sont disponibles, sympathiques, et font preuve d'une auto-dérision qui fait plaisir à voir. Si Le Secret du Janissaire était la révélation de l'année 95, Pavillon Noir ! est la confirmation de l'année 97. |
Avec Alain Ayroles, les animaux ont la parole...
De la grenouille princière de Garulfo aux bretteurs de tout poil de De cape et de crocs, ses albums donnent le beau rôle à des bêtes douées de raison, d'humanisme et d'humour. Là n'est pas la moindre originalité de ce scénariste singulier qui, non content d'écrire, sait aussi dessiner... et, en voici la preuve, parler.
Le troisième tome de Garulfo et le deuxième de De
cape et de crocs vont très bientôt paraître... Quels
souvenirs marquants retient-on d'une dure année de travail sur deux
albums ?
Les moments difficiles surtout ! Les "coups de bourre", les
blocages... Il m'arrive parfois d'être devant ma page, et de ne pas avoir
d'idées du tout. Ca se débloque tout à coup, comme si
l'inspiration revenait toute seule... En fait, le travail acharné à
froisser du papier, tourner en rond, noircir des pages en pure perte, tout cela
est indispensable pour en arriver là.
A partir de quoi démarres-tu une histoire ? Avec des séquences
Au départ, j'ai une vague idée - qui est souvent un thème,
en fait. Par exemple, pour Garulfo tome 3, je suis parti d'une idée de
Jean-Luc Masbou qui est apparue au cours d'une discussion. A partir du thème,
je pense à des situations qui me paraissent intéressantes, soit
parce qu'amusantes, soit parce que recelant un bon ressort dramatique, et je les
visualise. Ensuite, je me demande comment on peut arriver à ces
situations et sur quoi elles peuvent aboutir. Après il y a un travail
beaucoup plus technique, qui relève de la mécanique du récit.
Bizarrement, je m'aperçois que, notamment dans le registre de l'humour,
tout cela est très matheux. J'étais nul en maths, mais j'ai un
esprit plutôt logique, et il se trouve qu'un gag doit être
construit. A + B = C, RIRE ! Et je conçois une histoire comme ça :
construite. Par contre, c'est vrai que "De cape et de crocs" l'est
moins que "Garulfo". "Garulfo", c'est du conte, et un conte
doit être très carré. Je sais combien d'albums cela va
durer, j'écris des scénarios très détaillés,
avec un canevas très serré qu'il faut respecter au maximum. Alors
que "De cape et de crocs" est beaucoup plus décousu parce que
c'est un récit d'aventures ouvertes. Je n'ai pas de contraintes d'unité
de temps ou d'action, si jamais il doit leur arriver des choses inattendues qui
entraînent le récit ailleurs, ce n'est pas important du moment que
c'est rigolo.
Tout ça parce que c'est basé sur le théatre, sur le
principe de la "Commedia dell'Arte". A savoir que j'ai un canevas, je
connais les grandes lignes de l'histoire, mais après, j'improvise. Si je
vois traîner un sac et un bâton, par exemple, je vais m'en servir.
Que ce soit pour mettre quelqu'un dans le sac et le rouer de coups avec le bâton,
ou bien le faire trébucher avec le bâton et le frapper avec le
sac... Le hic, le danger, c'est que je ne me rends absolument pas compte de ce
que cela peut valoir. Je me dis qu'au final les gens ne vont rien comprendre,
que ce n'est qu'une suite de péripéties sans queue ni tête...
"Garulfo", c'est différent, ça va quelque part.
Comment définirais-tu Garulfo aux gens qui ne le connaissent
pas encore ?
Eh bien... Ca fait un peu pompeux, mais je le définirais comme un
conte philosophique, entre le conte et la fable. Pour moi, "Garulfo"
s'inscrit dans la tradition du conte, à savoir prendre le parti
d'instruire en divertissant, moins de donner des réponses que de poser
des questions. Tout ça en étant joyeux et, évidemment,
parfois un peu grinçant.
Si je dis que c'est un conte moderne et désabusé, ça
te convient ?
Oui, mais en même temps ce n'est pas si désabusé que
ça, puisqu'il y a un happy-end. Au fond, c'est une histoire optimiste,
mais qui passe par une désillusion complète, à l'image du héros
qui perd ses illusions, mais garde un naturel optimiste et voit les choses sous
le bon angle. La question est "comment trouver sa place dans un monde de
merde et trouver des raisons d'y rester".
Dans le tome 2, il y a cette scène où la sorcière
dit à Garulfo qu'il a vu l'Homme dans toute son ignorance. Venant d'un
personnage négatif...
Elle est négative, effectivement, il s'agit même d'un
personnage complètement nihiliste et aigri... C'est Cioran avec un
chapeau pointu. Mais on va s'apercevoir par la suite qu'elle a encore quelques
faibles espoirs. Qu'elle espère un petit peu, à sa façon,
changer le monde. En fait, son côté désabusé fait le
pendant à l'optimisme de Garulfo.
L'histoire est à l'image du héros, mais le héros
est-il à ton image ?
Avec tous les personnages qu'on met en scène, il y a toujours un
peu de soi. Alors Garulfo c'est un peu moi, mais l'insupportable roi de
Brandelune l'est aussi.
As-tu des personnages préférés dans tes séries
?
Non, je les aime tous, ce sont mes enfants ! Je m'amuse bien à
les faire parler. J'aime aussi beaucoup les sous-fifres. Là, dans le
deuxième "De cape et de crocs", je me suis étendu sur
les pirates. Au départ, on devait peu voir le capitaine, mais je me suis
tellement amusé à développer sa personnalité, à
lui prêter des dialogues idiots, que je n'ai pas pu m'empêcher de le
mettre en scène, de lui donner un rôle plus important. Forcément,
l'histoire s'en trouve rallongée d'autant.
Les collaborations avec Jean-Luc (Masbou) et Bruno (Maïorana)
sont-elles très différentes ?
Non, je travaille à peu près de la même façon
avec eux. Je leur donne un découpage assez précis. Et je suis tout
autant tyrannique avec l'un qu'avec l'autre !
Peux-tu dire ce qu'est exactement Contes et racontars, l'univers
dans lequel s'inscrivent les deux séries ?
C'est un univers que j'ai développé à partir d'un
jeu de rôles. C'est là que sont apparus "Garulfo" et "De
cape et de crocs". Mais si j'ai pu envisager de faire se croiser les
personnages des deux séries, cela ne tiendrait plus debout parce qu'ils
sont dans deux mondes bien différents. "De cape et de crocs"
est toujours bon enfant, on n'y meurt pas vraiment, alors que Garulfo a parfois
un côté vraiment dramatique et un peu triste.
Il transpire de tes albums une grande culture littéraire, et
un amour de la bande dessinée évident... Quelles ont été
les lectures importantes pour toi dans ces deux domaines ?
C'est sûr que j'aime bien lire les deux... et que ça ne
s'oppose absolument pas. Mais je vais répondre seulement par rapport à
ce qui a pu me donner envie de faire ces séries, sinon ce serait trop
long. Pour "Garulfo", je crois qu'il y a Italo Calvino d'une part, et
les Monty Python. Il y a aussi un film de Rob Reiner : "Princess Bride",
un vrai chef-d'oeuvre de conte de fée déconnant. "De cape et
de crocs", c'est Molière, Alexandre Dumas, "Cyrano de Bergerac",
tout ce qui parle du XVIIè siècle ou qui en vient.
En-dehors de ces deux séries, tu voudrais faire autre chose
?
Ce que j'ai envie de faire surtout, maintenant, c'est dessiner. De
formation, je suis dessinateur. J'ai très envie de dessiner, mais je ne
trouve pas le temps de le faire parce que le scénario m'en prend énormément...
Mais je ne désespère pas ! J'aimerais bien faire une bonne
vieille histoire d'heroïc fantasy de derrière les fagots, avec de
bons vieux trolls, les bons vieux barbares avec les haches à deux mains,
ce genre de choses...
Quel est ton style naturel de dessin ?
Avant, c'était plutôt comique. J'ai envie de dessiner réaliste,
mais je n'y arrive pas. Je crois que je vais sans doute trouver un compromis
entre les deux.